Analyse juridique de l'avis du 24 avril 2019 du Conseil scientifique Covid-19 à la lumière des décisions judiciaires La Poste et Amazon
Par deux décisions de justice rendues les 9 et 24 avril 2020, le tribunal judiciaire de Paris (ordonnance du 9 avril 2020 ; affaire La Poste) et la cour d'appel de Versailles (arrêt du 24 avril 2020 ; affaire Amazon) ont fourni une jurisprudence d'une importance de premier plan pour comprendre ce que sont les obligations de l'employeur, vis-à-vis de ses salariés, permettant à ceux-ci la continuation de leur activité professionnelle tout en assurant le respect de leur santé et leur sécurité au travail, dans le contexte très particulier de la propagation pandémique du virus Covid-19.
Rappelons que le régime dit de "l'obligation de sécurité", originaire du droit communautaire (directive n° 89/391/CE du 12 juin 1989 du Conseil) et aujourd'hui codifié aux articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, impose à l'employeur de prendre toutes les mesures utiles de prévention, information, formation, organisation, adaptation, qui sont de nature à assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Dans la logique de ce régime par nature préventif - l'objectif consiste à supprimer en amont le maximum de facteurs de survenance d'accidents du travail et de maladies professionnelles -, l'employeur qui est en situation d'identifier un danger, doit s'organiser en temps utile pour en prémunir ses salariés, à défaut de quoi il doit supporter les conséquences financières de sa faute inexcusable (code de la sécurité sociale, art. L. 452-1), mais aussi les conséquences pénales de sa contravention au code du travail (code du travail, art. L. 4741-1), voire de la commission du délit de risque causé à autrui (code pénal, art. 223-1). La concrétisation de l'action de l'employeur passe en toute hypothèse par deux étapes essentielles : la concertation avec les salariés et leurs organisations de représentation (afin de faire remonter vers la direction, l'expérience de terrain irremplaçable pour la cartographie des risques présents ou à venir), et la tenue et la mise à jour du document unique d'évaluation des risques professionnels (le "DUERP" : code du travail, art. R. 4121-1), permettant le respect de l'obligation d'information des salariés.
C'est le fondement juridique que le président Philippe Valleix, juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, a par son ordonnance du 9 avril 2020, appliqué à la situation sanitaire et sociale résultant de la propagation pandémique du virus Covid-19, constatant que les parties au litige (la Fédération SUD PTT, organisation syndicale demandeur à l'instance ; le groupe La Poste, employeur défendeur) n'avaient soulevé aucune difficulté pour reconnaître que le régime de l'obligation de sécurité doit "guider une appréciation factuelle qui portera contradictoirement sur [1°] les actions de prévention des risques professionnels spécifiques à cette situation d'exception, [2°] les actions d'information des personnels concernés, [3°] ainsi que l'organisation et la mise en œuvre de moyens et préconisations adaptés pour y remédier au mieux" (ord. p. 8). Il ressort des termes de l'ordonnance de référé, que :
- L'évaluation des risques professionnels a été convenablement effectuée par le groupe La Poste, au travers d'une liste de 34 mesures d'identification et de prévention des dangers liés au Covid-19, énumérées dans l'ordonnance et dont le juge des référés a contrôlé l'existence matérielle (entre autres : commande de gel hydroalcoolique, mise à disposition de masques, installation de points d'eau et savon pour les facteurs en tournée, création d'un comité scientifique de 15 médecins référents, affichages locaux des gestes barrières, points d'étape aux CHSCT, placements en télétravail dès que possible, organisation des réunions de managers en visioconférence, fermetures de sites non indispensables, prises de services décalés entre équipes, interdiction de tournées de facteurs en cas d'absence de produits d'hygiène et désinfection, etc.) ;
- En revanche, La Poste n'a pas respecté son obligation spécifique d'élaboration du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) spécifique au Covid-19 sur l'ensemble de son périmètre d'intervention et de ses branches d'activités et métiers, en association autant que possible avec les services de la médecine du travail, les instances représentatives du personnel, et notamment les CHSCT compétents, les organisations syndicales et dans la mesure du possible, les personnels concernés.
En conséquence du manquement constaté sur ce second point, le juge des référés a ordonné au groupe La Poste de procéder à une évaluation détaillée de chacun des risques professionnels identifiés du fait spécifiquement de l'actuelle crise sanitaire d'épidémie de Covid-19, et notamment cinq actions obligatoires, énumérées par l'ordonnance du 9 avril 2020 : "1°) Recensement de l'ensemble des activités postales estimées essentielles et non essentielles à la vie de la Nation ; 2°) conditions d'exercice liées à l'épidémie de Covid-19 des divers métiers et emplois des activités postales essentielles à la vie de la Nation ; 3°) incidences de l'arrivée le 1er avril 2020 d'agents de renfort extérieurs à la société, et de la réouverture de ses bureaux le 6 avril 2020 ; 4°) mesures adoptées dans les cas d'infections signalées, qu'elles soient avérées ou suspectées, tant en ce qui concerne les personnels qu'en ce qui concerne les locaux et les mobiliers professionnels ; 5°) risques psychosociaux résultant spécifiquement de l'épidémie de Covid-19".
De son côté, la cour d'appel de Versailles a, par son arrêt Amazon du 24 avril 2020, confirmé la pleine application du régime de l'obligation de sécurité des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail à la situation résultant de l'épidémie de Covid-19, en relevant plus particulièrement, s'agissant des risques psychosociaux propres à cette épidémie, l'existence d'un "climat particulièrement anxiogène de la situation inédite créée par la pandémie dans un contexte de travail rendu plus difficile d’une part en raison de l’injonction de “rester chez soi” faite par les pouvoirs publics à une partie de la population et d’autre part du fait de la modification substantielle des conditions de travail, liée tant aux mesures destinées à protéger les salariés qu’à l’augmentation des commandes passées auprès de la société Amazon, entraînant la nécessité de faire appel à des travailleurs intérimaires. C’est ainsi que certains salariés ont exprimé leur détresse face à la situation, que d’autres ont fait valoir leur droit de retrait ou dénoncé des situations de danger grave et imminent et que notamment à Montélimar, le médecin du travail a avisé la société Amazon à deux reprises, les 16 et 17 mars 2020, qu’il serait souhaitable qu’elle ferme l’entrepôt" (p. 16). Comme pour le groupe La Poste devant le tribunal judiciaire de Paris, les juges de Versailles ont constaté que ces risques psychosociaux spécifiques n'ont fait l'objet d'aucune évaluation sérieuse par la société Amazon.
De la même manière que le tribunal de Paris, la cour d'appel de Versailles a également constaté une insuffisance dans l'élaboration des DUERP spécifiques aux risques posés par le Covid-19 sur la majorité des sites de travail de l'entreprise Amazon. En conséquence, l'arrêt a "fermement rappelé à la société Amazon sa responsabilité dans la sauvegarde de la santé de ses salariés dans l’actuelle période d’urgence sanitaire alors que le Covid-19 est hautement contagieux et responsable de détresses respiratoires pouvant entraîner le décès, que les services de santé sont surchargés face à la propagation de l’épidémie et que toute personne est un vecteur potentiel de la transmission du virus" (p. 22).
La cour d'appel en a déduit que son arrêt devait permettre de s’assurer que, tant que la société Amazon n’aurait pas mis en œuvre une telle évaluation des risques ainsi que les mesures préventives en découlant, l’activité de chacun des sites concernés ne pourrait pas reprendre sans une limitation des personnes présentes au même moment au sein de l’établissement afin de préserver la distanciation sociale à chaque poste de travail et en conséquence, avec restriction des activités de ces entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits de première nécessité ou indispensables notamment au télétravail que le gouvernement a entendu privilégier, lorsqu’il est possible, pour juguler l’épidémie (c’est-à-dire essentiellement les produits d'hygiène, d'alimentation et d'informatique).
Ce cadre juridique est-il transposable au fonctionnement des administrations publiques qui sont actives en période d'épidémie, ou qui, comme c'est le cas du service public de l'Education Nationale, ont vocation à rouvrir avant la fin de l'épidémie ?
Indiscutablement, oui ; et il n'est guère acquis que l'administration soit en mesure de respecter les obligations ainsi définies par les jurisprudences La Poste et Amazon ci-dessus présentées.
Il faut ici rappeler que le régime de l' "obligation de sécurité" des articles L. 4121-1 du code du travail est applicable aux employeurs publics : le code du travail prévoit expressément, en son article L. 4111-1, que la 4e partie ("santé et sécurité") est opposable aux établissements publics à caractère industriel et commercial, aux établissements publics administratifs employant des personnels de droit privé, et aux établissements de santé et médico-sociaux (hôpitaux, Ehpad, etc.), donc à l'ensemble de la fonction publique hospitalière. Les administrations de l'Etat et des collectivités territoriales sont également dans le champ d'application, par le biais d'un renvoi direct opéré par le Statut des fonctionnaires (article 3 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 et article 108-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984).
Bien entendu, ces renvois laissent ouvert la possibilité de procéder à des adaptations quand elles sont nécessaires aux particularités de l'activité du service public ; mais aucune modification n'est prévue pour l'obligation de sécurité et le devoir de prévention de l'employeur, ce que la directive n° 89/391/CE du 12 juin 1989 du Conseil, dont la valeur normative est supérieure à la loi statutaire, n'autoriserait de toute façon pas. La question a d'ailleurs fait l'objet d'une prise de position récente et très claire du Conseil d'Etat, qui par son ordonnance n° 439.983 du 20 avril 2020, a rejeté le référé-liberté présenté par les instances de la profession d'avocat demandant une injonction de fourniture d'équipement de protection, au motif essentiel que la dotation des fonctionnaires de la Justice est prioritaire, au titre de l'obligation de sécurité de l'employeur : "Il appartient à l’Etat d’assurer le bon fonctionnement des services publics dont il a la charge. Il doit, à ce titre, dans le cadre de la lutte contre le covid-19, veiller au respect des règles d’hygiène et de distance minimale entre les personnes afin d’éviter toute contamination. Il doit également, lorsque la configuration des lieux ou la nature même des missions assurées dans le cadre du service public conduisent à des hypothèses inévitables de contacts étroits et prolongés, mettre à disposition des intéressés des équipements de protection, lorsqu'ils n'en disposent pas eux-mêmes. Cependant, face à un contexte de pénurie persistante à ce jour des masques disponibles, il lui appartient d’en doter d’abord ses agents, à l’égard desquels il a, en sa qualité d'employeur, une obligation spécifique de prévention et de sécurité pour garantir leur santé".
Cette obligation doit faire l'objet d'une application aussi rigoureuse au bénéfice des fonctionnaires de l'Education Nationale, mais aussi des élèves, usagers de ce service public qualifié par la loi de "première priorité nationale" (code de l'éducation, art. L. 111-1). Or la première difficulté à laquelle sera confrontée l'administration de l'Education Nationale, tient au fait que les effectifs de fonctionnaires, et les populations d'usagers, dépassent ici en ampleur tout ce que l'on peut imaginer : il y avait au dernier recensement :
- 50.500 écoles primaires dont près de 15.000 écoles maternelles ; 7.200 collèges ; 4.200 lycées dont 2.330 sont des lycées professionnels : soit, au sens du régime de l'obligation de sécurité, 61.900 établissements ou "unités de travail" au sein desquelles les actions de prévention des risques professionnels doivent être réalisées en tenant compte de la spécificité de chaque site ;
- Il faut y ajouter que la population des élèves était en dernier lieu de 12.875.650 enfants et jeunes adultes, répartis comme suit : 6.750.250 élèves du 1er degré, 3.374.400 collégiens ; 1.621.750 lycéens en lycée général ; 648.850 lycéens en lycée professionnel ; 210.000 élèves internes, dont 12.000 collégiens (environ 83% des élèves étant scolarisés dans le secteur public et 17% dans le privé sous contrat) ;
- Alors et surtout que le nombre d'enseignants atteint 870.900 personnes, sans que ne soit connu le nombre, non moins conséquent, d'agents de la "communauté éducative" qui concourt à l'accomplissement du service public de l'enseignement : ATSEM, assistants d'éducation, accompagnants des élèves handicapés, agents d'entretien, surveillants, agents administratifs ; dont beaucoup ne sont au demeurant pas des fonctionnaires d'Etat (les ATSEM par exemple, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, sont des fonctionnaires territoriaux, relevant de la commune qui a en charge le fonctionnement de l'école maternelle au sein de laquelle les enseignants, fonctionnaires d'Etat, seront accueillis pour l'exercice de leur activité professionnelle…).
Ces chiffres, qui confirment que l'Education Nationale est l'employeur d'au moins un million de personnes, sont sans commune mesure avec les effectifs de l'immense majorité des entreprises privées ; ainsi par exemple, en nombre de salariés, la plus grosse entreprise du CAC40, le groupe Carrefour, employait au dernier recensement (2019), environ 360.000 personnes ; et sur le continent européen, le plus gros employeur privé, la Deutsche Post, n'en emploie "que" 500.000. Quant aux décisions de justice La Poste et Amazon des 9 et 24 avril 2020, elles concernaient des employeurs qui comptent respectivement 250.000 salariés (La Poste est le 3e employeur privé en France, derrière Carrefour et Auchan) et, à une échelle bien moindre pour l'entreprise Amazon, 10.000 salariés répartis sur (seulement) 7 sites.
Aux chiffres démesurés des effectifs de l'Education Nationale, s'ajoute la complexité de son organisation administrative : l'Etat est certes employeur des enseignants et agents qui œuvrent au service public de l'enseignement, mais l'organisation est déconcentrée en de multiples strates (recteur de région, puis recteur, puis directeur départemental, et enfin établissement, en parallèle desquels existent les services d'inspection générale, régionale, académique, les services interrégionaux, interacadémiques, interdépartementaux et mutualisés…), et surtout, l'Etat n'est pas gestionnaire des locaux des établissements : cette compétence revient respectivement aux communes (école primaire), aux départements (collège) et aux régions (lycées), qui sont des collectivités territoriales, dont l'indépendance est sanctuarisée par le principe dit de "libre-administration", inscrit dans la Constitution (sans parler des Universités, elles aussi personnes morales indépendantes de l'Etat). Les collectivités territoriales sont par ailleurs seules responsables de l'organisation et du déroulement des activités extrascolaires éducatives, sportives ou culturelles (code de l'éducation, art. L. 216-1). Enfin, si les personnels enseignants des établissements privés sous contrat d'association avec l'Etat sont bien liés à ce dernier par un contrat de droit public, leurs conditions de travail dépendent exclusivement de l'organisme privé d'enseignement qui les accueille (l'OGEC, pour l'enseignement catholique).
Ce système complexe n'en est pas moins très exigeant en termes d'obligation de sécurité : outre les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, s'appliquent l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 ("Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail"), ainsi que les multiples dispositions du code de l'éducation : obligation de protection de la santé des élèves (code de l'éducation, art. D. 541-1 et s.), de prévention des risques professionnels des élèves de l'enseignement technique (art. D. 541-7 et s.), interdiction d'exercice en établissement d'un enseignant atteint d'une "affection dangereuse" (art. D. 911-3), obligation d'adaptation du poste de travail du fonctionnaire confronté à une "altération de son état de santé" (art. R. 911-12 et s.), obligation de "mise en place d'un environnement scolaire favorable à la santé" (art. L. 121-4-1), accueil obligatoire en maternelle même en cas d'absence imprévisible de l'enseignant (art. L. 133-1), obligation générale de dépistage des "maladies contagieuses" pour tous les personnels et élèves (art. L. 541-1)…
A la fois lourd et exigeant, ce système va devoir s'adapter à une reprise d'activité dont les linéaments ont été tracés par une note, publiée vendredi 24 avril 2020 à 15h et mise en ligne le même jour sur le site du Ministère de la santé (mais brillant par son absence de la page "actualités Covid-19" du site du Ministère de l'éducation nationale, pourtant premier concerné), émanant du Conseil scientifique Covid-19, présentant les "conditions sanitaires minimales d’accueil dans les établissements scolaires et les modalités de surveillance des élèves et des personnes fréquentant ces établissements à partir de la rentrée des classes du 11 mai 2020".
L'ampleur des modifications à apporter à l'organisation du service public de l'Education Nationale, dans un délai de quinze jours, est pour le moins, extrêmement ambitieuse ; le Conseil scientifique formule en effet les 15 préconisations suivantes :
- Information des parents sur les conditions d'ouverture de l'établissement, formation professionnelle spécifique des agents et enseignants et formation des enfants aux gestes barrières et aux règles d'hygiène spécifiques au Covid-19,
- Réorganisation de l'entrée et de la sortie des établissements pour éviter tout rassemblement,
- Réaménagement des sanitaires pour un lavage des mains à chaque début de journée puis à chaque début et chaque fin de classe, pour tous les enseignants et élèves ; en outre, "bionettoyage" quotidien de l'ensemble de l'établissement avec désinfection des surfaces sensibles,
- Instauration de nouvelles "règles de distanciation sociale en milieu scolaire" (et notamment, distance physique d'un mètre minimum entre chaque élève et ouverture alternée des classes),
- Organisation du "non-brassage" des élèves, afin que ni les classes, ni les niveaux, ne se croisent entre eux dans l'établissement (avec notamment, la préconisation quelque peu fantasmagorique, de "faire manger les enfants dans la salle de classe à leur table"),
- Obligation de veille sanitaire des parents sur leurs enfants et interdiction générale faite aux parents d'entrer dans les établissements,
- Port du masque généralisé pour les adultes et pour les élèves dès que l'âge de l'enfant le permet,
- Bilan du médecin traitant et avis de conformité du médecin du travail pour les "personnels à risque",
- "Multiplication de l'offre" de transport scolaire pour faire respecter la distanciation sociale et les gestes barrières au sein des véhicules de transport scolaire,
- Réorganisation des activités périscolaires et contrôle des contacts en cas de contamination avec possibilité de fermeture de l'établissement,
- Limitation des retours à l'internat aux seuls élèves pour lesquels le retour à l'école est un impératif scolaire ou social,
- Réorganisation de l'enseignement technique en lycée professionnel pour respecter les règles de distanciation sociale au sein des ateliers,
- Mesures de compensation permettant l'accueil des élèves handicapés avec le même niveau de formation, information et sécurité que les autres élèves,
- Organisation de la détection des "cas suspects" et gestion des conséquences (information des enseignants et parents, dépistage collectif, fermetures partielles, etc.).
Une seizième recommandation ("Le Conseil scientifique considère qu’un dépistage massif par test diagnostique RT-PCR des élèves et de l’ensemble du personnel travaillant dans les établissements scolaires n’est pas envisageable : il concernerait plus de 14 millions de personnes et devrait être renouvelé régulièrement (tous les 5-7 jours) pour détecter des cas et empêcher efficacement la circulation du virus dans un établissement") est présentée de manière fort alambiquée, comme un renoncement par avance à la seule mesure propre à empêcher la propagation de l'épidémie : pratiquer les tests généralisés permettant d'identifier très en amont les porteurs du virus afin de les isoler. Comme un clin d'œil ironique de l'actualité scientifique, était publiée le même jour dans le très prestigieux New England Journal of Medicine, une étude confirmant que ce renoncement est le "talon d'Achille" de la lutte contre la propagation pandémique du coronavirus (Ghandi M. et alii, Asymptomatic transmission, the Achilles' heel of current strategies to control Covid-19, 24 avril 2020).
Surtout, l'avis du Conseil scientifique formule une conclusions en "trois points essentiels" qui rejoignent, par un raisonnement remarquablement intuitif, les trois caractéristiques fondamentales de l'obligation de sécurité, confirmant la place centrale et décisive de la démarche de prévention des risques professionnels dans la résolution de la crise du Covid-19 :
- Une démarche participative, relevant de la gestion paritaire des conditions de travail entre employeur et agents : "Le Conseil scientifique estime essentiel que les personnels de direction, les enseignants et les associations de parents d’élèves soient associées tout au long du processus de réouverture des écoles" ;
- Une démarche préventive, réalisée en amont afin d'empêcher ou de limiter au maximum la survenance des infections : "Le Conseil scientifique souligne l’importance d’organiser la formation et l’éducation sur les mesures barrières et la distanciation sociale et de s’assurer que l’organisation des établissements scolaires permettra leur mise en œuvre avant l’ouverture des établissements scolaires",
- Une démarche adaptative, évoluant en fonctions des informations nouvelles et surtout, en fonction des spécificités propres à chaque établissement : "Le Conseil scientifique souligne que l’ouverture des établissements scolaires le 11 mai doit progressive, nationale tout en tenant compte des situations locales, doit s’intégrer dans une démarche expérimentale et continuer de s’adapter en fonction de l’évolution de la situation sanitaire".
La cour d'appel de Versailles et le tribunal judiciaire de Paris, dans les affaires La Poste et Amazon, ne disent pas autre chose :
- Sur la démarche participative : arrêt du 24 avril 2020, p. 15 : "La pertinence de l'évaluation des risques comme première étape de prévention repose en grande partie sur la prise en compte des situations concrètes de travail de sorte que, outre qu’il y a lieu de respecter le droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail, leur participation en ce qu’ils disposent des connaissances et de l’expérience de leur propre situation de travail et des risques qu’elle engendre, est indispensable",
- Sur la démarche préventive : arrêt du 24 avril 2020, p. 18 : "Il ressort des documents produits par la société Amazon aux fins d’établir la concertation mise en place depuis le 15 avril et des courriels provenant de membres salariés du CSE central en date du 15 avril qu’employeur et salariés admettent que le travail d’élaboration d’une évaluation qualitative des risques ne fait que commencer à cette date, preuve s’il en est qu’auparavant, les risques causés par le Covid-19 n’avaient été pris en considération que par des mesures réelles mais mises en place sans plan d’ensemble, sans méthode et sans véritable association des salariés",
- Sur la démarche adaptative : ordonnance du 9 avril 2020, p. 12 : "L'employeur ne peut se borner à paraphraser les recommandations publiques et officielles du Gouvernement ou des autorités sanitaires compétentes (à titre d'exemple : sur les gestes barrières) ou à annoncer des calendriers de réunion, eu égard précisément à cet impératif de spécificité visant à faire adopter dans l'exercice même de son pouvoir de direction des mesures génériques et adaptées pouvant bien sûr être de portée générale mais sous réserve de pouvoir se décliner sans difficultés majeures ni contretemps inutiles dans toute la gamme des échelons locaux".
Il revient au ministère de l'Education Nationale de mettre en place ces actions, et veiller au respect de ces principes, dans les deux semaines qui vont s'écouler entre le 26 avril 2020 et le 11 mai 2020, en concertation avec les fonctionnaires et leurs organisations de représentation, tout en veillant, dans chaque établissement, à la tenue et la mise à jour du document unique d'évaluation des risques professionnels, nécessaire au respect de l'obligation d'information des salariés. Saisi au contentieux, il appartiendra au juge administratif de réaliser son contrôle juridictionnel dans les termes énoncés par le Président P. Valleix dans son ordonnance du 9 avril 2020 : procéder à une appréciation factuelle portant contradictoirement sur les actions de prévention des risques professionnels spécifiques à la pandémie de Covid-19, sur les actions d'information des personnels de l'Education Nationale (enseignants et "communauté éducative"), et sur l'organisation et la mise en œuvre de moyens et préconisations adaptés pour remédier au mieux aux risques posés par le coronavirus.
Pour ce faire, le ministre sera sans doute tenté, comme il est d'usage dans cette administration centraliste et pyramidale, de produire des instructions pour expliquer aux recteurs, comment expliquer aux DASEN, comment expliquer aux chefs d'établissement, comment expliquer aux enseignants, ce qu'il faut expliquer aux élèves… Mais ce qui est en jeu dans l'obligation de sécurité, est un inversement complet de la logique administrative : dans la lutte contre le virus respiratoire, une fois les principes généraux d'hygiène acquis, ce sont les détails factuels de l'environnement immédiat qui ont leur importance (la disposition d'un lavabo, le sens d'ouverture d'une porte, la largeur d'un couloir, la dimension d'une salle de classe, etc.) : l'expérience de terrain (des enseignants, des parents, des enfants, des agents communaux d'entretien) sera irremplaçable et c'est à ce niveau que l'organisation concrète doit être déterminée, et adaptée, de manière paritaire et en veillant à la pleine information de tous les personnels. La hiérarchie, dans cette logique, a surtout comme vocation de donner aux enseignants les moyens de mise en œuvre de cette organisation concrète.
Gageons que la finalité de cette "révolution culturelle" - qui est de permettre au plus grand nombre de survivre à la pandémie en cours - convaincra le ministère d'y consacrer un effort prioritaire.
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