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  • Benoit Arvis

Quoi de neuf en droit public ?

Le Tribunal administratif de Paris s'est prononcé le 18 juillet 2018 sur la faute de l'Etat dans la survenance des attentats du 13 novembre 2015



Un collectif de victimes et d'ayants-droit de victimes tuées lors des attentats terroristes du 13 novembre 2015 a saisi le Tribunal administratif de Paris par une requête du 10 novembre 2016, afin d'obtenir la condamnation de l'Etat à raison de trois fautes des services de sécurité français, dont ils estimaient qu'elles avaient concouru de manière déterminante à la survenance et à la gravité des attentats du 13 novembre 2015 de Paris et Saint-Denis :

  • Un défaut de surveillance des auteurs des attentats,

  • Un défaut de surveillance de la salle de spectacle du Bataclan,

  • Un défaut de coopération avec les services de renseignement étrangers.


En formation plénière, la 3e Section du Tribunal administratif de Paris a rejeté cette requête par un jugement du 18 juillet 2018 qui a été mis en ligne sur le site Internet de la juridiction : http://paris.tribunal-administratif.fr/content/download/139480/1412461/version/1/file/1621238.pdf


Pour le Tribunal, aucune des fautes alléguée n'est constituée, non pas parce que les services de sécurité ont parfaitement rempli leurs missions, mais parce que la survenance et la gravité des attentats du 13 novembre 2015 n'a pas été causée de manière déterminante par un dysfonctionnement de l'administration française.


Ce qui sous-tend ce raisonnement, est l'application d'une théorie juridique, dite de la "causalité adéquate", en vertu de laquelle la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat est assujettie à la détermination de son rôle décisif dans la réalisation du dommage.


L'application de ce raisonnement place le juge, lorsqu'il rejette la demande de responsabilité, en situation de devoir préciser ce qui, d'après lui, constitue la causalité "plus" déterminante et qui n'est pas imputable au défendeur ou en tout cas, qui ne l'est pas dans les conditions exposées dans la requête.


En pratique, cela explique pourquoi le jugement du 18 juillet 2018 du Tribunal administratif de Paris se présente comme une énumération des évènements qui ont pu expliquer l'impuissance des services de sécurité français à empêcher les attentats du 13 novembre 2015 ; on apprend ainsi, dans l'ordre, que :

  • Si Samy Amimour avait à rejoindre la Syrie en 2014 pour préparer les attentats alors qu'il s'était vu confisquer son passeport français et interdire de sortie de territoire au titre d'un contrôle judiciaire mis en place depuis 2012, c'est parce qu' "aucune technique de renseignement ne pouvait être mise en œuvre concernant un individu sous contrôle judiciaire", et parce qu'aucune "interdiction administrative de sortie de territoire" ne permettait de l'empêcher de quitter la France muni de sa seule carte d'identité ;

  • Si Abdelhamid Abaaoud, Omar Mostefaï et Chakib Akrouh étaient l'objet d'un mandat d'arrêt européen depuis 2014 pour le premier et 2015 pour les seconds, "à cette date aucun contrôle aux frontières n'était opéré à l'intérieur de l'espace Schengen" ;

  • Si Omar Mostefaï et Chakib Akrouh faisaient l'objet d'une fiche S, "l’émission d’une fiche S n’est pas un indicateur de dangerosité d’un individu mais un outil de travail permettant d’assurer un « signalement aléatoire » de cet individu à l’occasion des contrôles d’identité dont il fait l’objet dans sa vie quotidienne" ;

  • Si les services de renseignement sont chargés de la surveillance des réseaux terroristes, cette surveillance est rendue "particulièrement difficile" par l'utilisation des "moyens de communication cryptés tels que l'application Telegram" ;

  • Si Ahmad Al-Mohammad et Mohammad Al-Mahmod ont pu rentrer en France sous de fausses identités, c'est "par la route des migrants" ;

  • Si les frères Abdelslam et Bilal Hadfi étaient inconnus des services de renseignement français, c'est parce qu' "aucun message à leur sujet n'avait été transmis par les partenaires étrangers" ;

  • Si les services français étaient avertis depuis août 2015 qu'une "salle de spectacle" était évoquée comme cible par les cadres de Daech en Syrie, "aucun élément de ne permettait alors d'estimer que le Bataclan était particulièrement visé", quand bien même les services de renseignements égyptiens avaient porté à connaissance des services français un projet d'attentat en 2009 contre le Bataclan, dès lors qu'après information judiciaire, cette première alerte de 2009 "s'était soldée par une décision de non-lieu prise par le juge d'instruction faute d'éléments probants" ;

  • Si le processus d’échanges d’informations et de coopération entre Etats membres de l’Union européenne concernant les infractions terroristes prévu par la décision 2005/671/JAI du Conseil de l’Union européenne du 20 septembre 2005 était "imparfait" et "a été renforcé depuis 2015", il n'est pas démontré que les services de sécurité français auraient fait une application illégale ou insuffisante de ce dispositif de droit communautaire ;

  • Si le parquet et la police belges ont classé sans suite, le 29 juin 2015, des informations sur le départ en Syrie et la radicalisation des frères Abdelslam, et si les services de renseignement belges connaissaient la localisation d'Abdelhamid Abaaoud à Athènes en janvier 2015 (alors qu'il était visé par un mandat d'arrêt européen depuis 2014), ces faits ne sont pas de nature à engager la responsabilité des services français, auxquels ces informations n'avaient pas été communiquées.

L'espace Schengen, la route des migrants, l'application Telegram, les défaillances des services étrangers… on voit, en creux, apparaître dans ce jugement, une réflexion sur les multiples causes extérieures qui ont pu concourir, dans cette série d'évènements d'une grande complexité, à la survenance des attentats dramatiques qui ont endeuillé la France en 2015. Du point de vue juridique, il est difficile d'envisager qu'une action contentieuse unique puisse, d'une manière ou d'une autre, englober l'ensemble de ces causalités pour permettre d'identifier un ou plusieurs responsables en dehors des terroristes eux-mêmes ; un Etat défaillant (la France ? la Belgique ?), une organisation internationale trop passive (l'Union européenne ?), une organisation criminelle (Daech ?), une société commercialisant une messagerie trop bien cryptée (Telegram, l'application créée en Russie et détenue par la société Telegram LLC, domiciliée sur le territoire des Etats-Unis, dans l'Etat du Delaware) ?


Ce qui est probable en tout cas, est que l'affaire n'en restera pas là, à tout le moins devant la juridiction administrative française, puisque les requérants ont la possibilité de saisir la Cour administrative d'appel de Paris, puis le cas échéant, le Conseil d'Etat. Est-ce un hasard de calendrier ? Celui-ci vient précisément de rendre, le 18 juillet 2018 également, un arrêt fixant la règle selon laquelle "seule une faute lourde est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des victimes d'actes de terrorisme à raison des carences des services de renseignement dans la surveillance d'un individu ou d'un groupe d'individus" (pas de responsabilité de l'Etat pour défaut de surveillance de Mohamed Merah : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000037220702&fastReqId=1131557850&fastPos=1).


Appréciée par la méthode de la causalité adéquate, et reconnue uniquement en cas de faute "lourde" (c’est-à-dire d'une exceptionnelle gravité), la responsabilité des services de sécurité français ne sera, au travers de ce double filtre juridictionnel, guère aisée à faire reconnaître par le juge administratif.


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